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Grande-Anse

Un parcours pour comprendre.

ENVIRONNEMENT  LE SAGUENAY EST AUJOURD’HUI AU CONFLUENT DE PLUSIEURS PROJETS INDUSTRIELS D'ENVERGURE. SI LA RÉGION ACCUEILLE DE GRANDES INDUSTRIES DEPUIS LONGTEMPS, L'IMPLANTATION DE NOUVEAUX PROJETS DANS LA ZONE DE GRANDE-ANSE AMÈNE AUJOURD'HUI UNE RÉFLEXION SUR L'AVENIR DU FJORD. LES AVIS SONT PARTAGÉS ENTRE LA RELANCE ÉCONOMIQUE, D’UNE PART, ET D’AUTRE PART LA CONSERVATION DE L'ILLUSTRE RIVIÈRE ET LE RÔLE DE LA RÉGION DANS LA LUTTE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES. NOUS VOUS PRÉSENTONS UN PARCOURS EN CINQ ÉTAPES QUI VA À LA RENCONTRE DES ACTEURS RÉGIONAUX DU DÉBAT

Fin Mars 2019.  Le printemps a fait faux bond à Saguenay. La température douce de la veille a laissé place au petit matin à une énorme quantité de neige mouillée rendant dangereuses les côtes du centre-ville de Chicoutimi. Chicoutimi? Saguenay? La Baie? Pas facile de s’y retrouver lorsqu’on est moins familier avec la région. En fait, les villes de Chicoutimi, Jonquière, La Baie ainsi que d’autres villages environnants ont fusionné en 2001 pour former la Ville de Saguenay, dont ils sont désormais des arrondissements.

La tempête se poursuivant, ce n'est pas le temps idéal pour tourner des images. Alors on ose pointer le bout du nez dehors pour profiter de la belle nature saguenéenne. La nature est partout ici. Au détour d'un bâtiment, on aperçoit le fjord, majestueux. Là, on tombe par hasard sur un ruisseau en train de dégeler. Timidement, les oiseaux se mettent piailler et le verglas qui recouvre les branches du pommier en face de la fenêtre commence à fondre.

 

Le lendemain, le contraste avec la méga-usine de Rio Tinto Alcan, croisée sur la route, est frappant. Cela nous donne à voir deux facettes d'une même région. Une économie partagée entre le tourisme et la grande industrie, ayant tous deux soif de croissance. Les militants environnementaux que nous avons rencontrés croient que la région est à la croisée des chemins et devrait se tourner vers un développement plus durable. Néanmoins, plusieurs autres saguenéens souhaitent, eux, voir de nouvelles usines ramener les emplois perdus lors de la fermeture des précédentes et accorder des contrats dans la région. Les projets Énergie Saguenay et Métaux Black Rock promettent ainsi de générer des milliers d'emplois et se vantent d'être les plus verts de leur industrie grâce à l'hydroélectricité. Ils s'accompagnent tout de même d'importantes émissions de gaz à effet de serre et d'une augmentation du trafic naval dans l'écosystème fragile du fjord. Les deux projets doivent encore être approuvés par les gouvernements, alors que les agences d'évaluation environnementale de Québec et d'Ottawa ont déjà émis des réserves à leur encontre.

 

Dans ce parcours, vous trouverez des entrevues et des chiffres qui, nous l’espèrons, vous aideront à mieux comprendre les enjeux.

02 Parcours

01 les Projets

gnl_dominique savard informe affaires.jp

Énergie

Saguenay

Il s'agit d'un projet d'usine de liquéfaction de gaz naturel. Une fois liquéfié (voir encadré à l'étape 03), le gaz peut être plus facilement exporté par bateau que sous sa forme gazeuse. Le promoteur, GNL Québec, prévoit exporter 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié chaque année. Il promet aussi que le gaz servira à remplacer des combustibles plus polluants, comme le charbon, en Europe et en Asie. Le gaz qui sera transformé proviendrait de l'Alberta et serait acheminé à Grande-Anse par un gazoduc. Un nouveau tronçon de 750 km devrait être construit pour traverser une partie de l'Ontario et l'Abitibi. C'est une autre compagnie, Gazoduq inc. qui s'en occupe, mais la réalisation du terminal d'Énergie Saguenay ne peut se faire sans lui.

 

L'entreprise a produit une étude d'impact, mais n'a pas encore été soumise au BAPE.

 

Dans cette étude, les émissions directes de l'usine sont estimées à 421 000 t de CO2.

 

Le projet représente un investissement de 7,2 milliards (USD) pour le terminal et de 14 milliards pour le terminal et le gazoduc, ce qui en fait, souligne l'entreprise, le plus important

projet industriel au Québec actuellement.

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Métaux Black Rock

Le projet de Métaux Black Rock comprend l'ouverture d'une mine de fer et de vanadium, un métal utilisé dans les alliages, à Chibougamau, et la construction d'une usine de transformation à Grande-Anse. Environ 800 000 tonnes de minerai seront extraites par année et transportées par train à Grande-Anse. L'usine produira de la fonte à destination surtout de l'Asie et réutilisera ses résidus de vanadium, appelés scories, dans un autre type d'alliage. Les scories de titane sont cependant plus problématiques : considérés comme matière dangereuse, il n'existe pas de débouchés pour eux au Québec et les débouchés en Asie pour les utiliser dans la composition de pigments sont incertaines.

Les émissions directes de l'usine sont estimées à 356 000 t CO2, une quantité qui obligera l'entreprise, comme sa voisine, à participer à la bourse québécoise du carbone.

Le projet implique un investissement de 1,2 milliard de dollars

L'entreprise n'est pas parvenue à répondre à temps aux demandes d'entrevues.

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Ariane Phosphate

Ariane Phosphate prévoit la construction d'une mine d'apatite, un minerai surtout utilisé dans la production d'engrais chimique phosphaté, à Lac à Paul, situé à 250 km au Nord de Saguenay.

Le minerai serait acheminé à Sainte-Rose-de-Nord, presque en face du Port de Grande-Anse, pour être exporté lui aussi par voie maritime. Le nouveau port a été approuvé par le gouvernement fédéral qui a autorité sur les voies maritimes, mais il est conditionnel à la réalisation de la mine. Ce serait le premier port minier du côté nord du fjord. Plusieurs citoyens remettent encore en question son utilité. 

La construction de la mine nécessiterait des investissements d'1,2 milliards de dollars.

02 Le parcours

03 Fact Checking

Gaz Naturel liquéfié

Le gaz naturel est constitué à 95% de méthane (CH4). Il nous est plus familier sous la forme des cuisinières au gaz, mais on s'en sert également pour chauffer des bâtiments et dans certaines usines. Pour le liquéfier, le gaz doit être refroidi à -162°C. Cela permet de le transporter plus aisément, car il prend alors 600 fois moins de place que sous sa forme gazeuse. Un de ses grands avantages est qu'il ne se mêle pas à l'eau: si une fuite survient en mer ou dans l'environnement, il reprend sa forme gazeuse. Puisqu'il n'est pas sous pression, il est aussi moins inflammable. Il doit être re-gazéifié avant d'être distribué dans les conduits domestiques. L'Australie est récemment devenu le plus gros  producteur mondial de gaz naturel liquéfié devant le Qatar et la Chine a dépassé  le Japon comme plus gros consommateur, selon l'agence de presse Bloomberg.

Emplois

Énergie Saguenay emploierait entre 4000 et 6000 personnes durant la construction et à terme créerait 300 emplois directs et 800 empois indirects.

Métaux Black Rock créerait également 300 emplois directs à l'usine de Saguenay et environ 150 emplois à la mine de Chibougamau, en plus d'engager plus de 1000 travailleurs temporaires pendant la construction.

«1 emploi dans le secteur industriel permet en moyenne de créer 3 emplois dans les autres secteurs » - mémoire de la Ville de Saguenay au BAPE de Black Rock.

l'Analyse de cycle de vie

Plusieurs chiffres circulent à propos des émissions anticipées du projet Énergie Saguenay. Ainsi le cycle de vie de projet produirait 7,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES), mais l'usine que 421 000 t. L'ingénieur au Centre de référence sur le cycle de vie des produits de Polytechnique et collaborateur de l'étude d'impact de GNL, Pierre-Olivier Roy explique la différence entre les méthodes de calculs:

  •  Le bilan de scope 1, qui ne considère que les émissions directement sous la responsabilité de l'entreprise, est la plus courante et celle utilisée par le gouvernement.

  • Le bilan de scope 2 considère, lui, les émissions directes ainsi que les émissions associées à la consommation d'électricité. On calcule donc la quantité de gaz à effet de serre émise pour produire l'électricité nécessaire, incluant ceux de la construction du barrage hydroélectrique, même si celui-ci existe déjà.

  • Finalement, le bilan de scope 3, celui qui a été réalisé pour GNL, considère toutes les émissions qui touchent de près ou de loin le produit, le procédé ou le service. Toute la chaîne d'approvisionnement est considéré afin d'éviter les déplacements d'impacts vers d'autres phases du cycle de vie, d'autres endroits dans le monde ou d'autres moments dans le temps. Ce genre d'exercice est plus rare: «il est plus difficile de trouver des bases de comparaison. Si l'exercice avait été fait pour la cimenterie de Port-Daniel, actuellement 1er émetteur au Québec, il est certain que le bilan de cycle de vie serait beaucoup plus élevé que le 1.8 Mt de CO2 véhiculé* (voir encadré ci-dessous)», explique l'ingénieur. À quel point serait-il plus grand? «On ne peut malheureusement pas le savoir, puisque l'étude de cycle de vie n'a pas, à notre connaissance, été réalisée», déplore-t-il.

Ainsi, des 7,8 millions de tonnes de GES évoquées, 90% seraient donc imputables à l'extraction et les émissions directes de l'usine représenteraient environ 10% de tout le cycle de vie.

Pour sa part, Gilles Côté du Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale (SIFÉE) estime que le gouvernement devrait se servir de l'analyse de cycle de vie pour élaborer des politiques globales en matière d'énergies fossiles plutôt que pour analyser des cas particuliers. «Il est difficile d'évaluer la part de responsabilité d'un seul projet sur les changements climatiques», dit-il. À sa connaissance, il n'existe pas non plus d'autres entreprises québécoises ayant publié de telles analyses.

Qui pollue le plus?

Pour vous permettre de comparer les émissions prévus par les projets de Grande-Anse, voici les émissions annuelles de gaz à effets de serre de quelques grandes entreprises québécoises selon l'Inventaire québécois des émissions atmosphériques de 2017. En considérant les émissions directes, les plus gros émetteurs sont la cimenterie de Port-Daniel et les raffineries de Lévis et de Montréal. Le Saguenay n'est cependant pas en reste. Selon Radio-Canada, la région représente 17% des émissions de la province, en partie grâce à la contribution des usines d'aluminium. Les deux projets qui nous intéresse se retrouve néanmoins dans le top 20 des émetteurs québécois.

 

 

Cimenterie de Port-Daniel                                                                            1,8 millions t*

Raffinerie Valéro de Lévis                                                  1, 3 millions t

Raffinerie Suncor de Montréal                                          1,2 millions t

Rio Tinto Alcan Arvida                                           628 000 t

Rio Tinto Alcan Jonquière                               516 000 t            

Rio Tinto Alcan Grande-Baie                         491 000 t                        

Énergie Saguenay                                       421 000 t

Métaux Black Rock                                  356 000 t                                  en équivalent CO2

*Les émissions de la cimenterie de Port-Daniel, mise en service en 2017, ne sont pas encore connues précisément. Selon les interlocuteurs, les chiffres avancés vont de 1,2 millions à 2 millions.

Transport Maritime

Dans son mémoire déposé au BAPE de Métaux Black Rock, le Conseil régional de l'environnement et du développement durable du Saguenay-Lac-Saint-Jean estime qu'à l'heure actuelle, 255 transits sont effectués dans le fjord chaque année. Selon lui, les nouveaux projets pourraient faire augmenter ce chiffre à 635 d'ici 2035.

 

Le bruit sous-marin causé par les navires inquiète de plus en plus les scientifiques qui étudient les mammifères marins. Selon des chercheurs de Pêches et Océans Canada et du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM), ce bruit perturberait le système d'écholocation des baleines, ce qui augmenterait les chances de collisions avec des navires et affecterait leur capacité à se nourrir. L'embouchure du Fjord est un garde-manger de prédilection pour les baleines et les quelques 900 derniers bélugas du St-Laurent. 

Énergie Saguenay : entre 150 et 200 navires

Ariane Phosphate: max. 140 navires

Métaux Black Rock: 25 navires

Gazoduq inc. 

Gazoduq, GNL, même combat? La compagnie promotrice du gazoduc devant alimenter l'usine de gaz naturel liquéfié de Saguenay est bien Gazoduq inc. Cette entreprise ne partage pas le même président, ni le même siège social ou bureau de communication que GNL Québec. Cependant, la compagnie Gazoduq a été créée en septembre 2018 spécifiquement pour le projet de gazoduc reliant le nord de l'Ontario à Énergie Saguenay. En consultant le Registre des entreprises du Québec, on apprend que la Société en commandite GNL Québec est l'actionnaire majoritaire de Gazoduq. Selon l'Autorité des marchés financiers, une société en commandite signifie que les actionnaires (ou commanditaires) fournissent le capital, mais n'ont pas de responsabilités sur la gestion de la société. ​

 

De plus, selon des informations disponibles sur LinkedIn, l'actuel président de Gazoduq, Louis Bergeron, était vice-président exécutif de GNL Québec jusqu'en septembre 2018. 

Selon le règlement du Ministère de l’Environnement, une procédure commune d’évaluation environnementale n'est pas possible dans le cas de projets initiés par des compagnies distinctes.

04 Historique

1985

Port de Grande-Anse

Construit pour remplacer le vieux port situé au centre-ville de Chicoutimi, et dans l'optique d'attirer de grands industriels. 

2010

Métaux Black Rock

Le promoteur entame les pourparlers

avec la Ville de Saguenay. 

2014

Énergie Saguenay

Le promoteur entame les pourparlers

avec la Ville de Saguenay. 

2018   

Métaux Black Rock  

À la suite des audiences tenues durant l'été, durant lesquelles une trentaine de mémoires ont été déposés, le Bureau d'audiences publiques en environnement publie son rapport le 15 octobre. Il émet des réserves concernant la quantité importante de CO2

émis et la perturbation de l'habitat des bélugas. Le gouvernement québécois n'a pas encore rendu sa décision.  

9 Avril 2019

Pétition Coalition Fjord

Né en novembre 2018, le mouvement citoyen de défense de l'environnement Coalition Fjord lance la pétition #NonGNLQuébec en collaboration avec L'Action Boréale en Abitibi . À ce jour, elle a recueilli plus de  26 000 signatures.

Aut. 2019

GNL Québec

Après avoir déposé son étude d'impact, première étape du processus d'évaluation environnementale, la compagnie vise des audiences du BAPE cet automne. Cela pourrait être ralenti par la demande d'Ottawa de fournir une étude sur les 14 autres sites qui avaient été envisagés par la compagnie.

2021-2025

Énergie Saguenay

L'entreprise prévoit débuter les travaux de construction en 2021 pour une mise en service en 2025.

05 Galerie 360°

Vous avez du mal à imaginer les lieux évoqués dans le reportage? Qu’à cela ne tienne, avec la vidéo en 360°, c’est comme si vous y étiez! Découvrez à quoi ressemble aujourd'hui les environs de Grande-Anse avant l'implantation possible des deux usines. 

À propos

Ce projet a été créé dans le cadre du cours Pratiques innovantes en première année de maîtrise en journalisme international à l'Université Laval.

 

Reportage, conception et 360° : Sandrine Gagné-Acoulon

Caméra et son : Eddy Capus

Photos d'arrière-plan: Google Earth, Documents publiés par les compagnies 

Musique: The Vendetta (Stefan Kartenberg), I dunno (Grapes, ft. J.Lang, Morusque), Creative Commons.

Créé à partir de Google Earth, Fusion Studio et Wix.

Soutien Technique: Éric Forcier, Renaud Carbasse.

Pour le retrouver sur l'Exemplaire et voir les autres projets du cours, cliquez ici

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